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Aussi surprenant que cela puisse paraître, les pharaons ont été les premiers à s’intéresser aux liens entre le travail et la santé. Comme en témoigne un papyrus de 2500 ans avant Jésus Christ, les pharaons ont nommé des médecins chargés de veiller à l’état de santé des ouvriers et des esclaves sur les chantiers de construction des pyramides, suite à la survenu d’un lumbago aigu chez l’un d’entre eux. Hippocrate, médecin de l’Antiquité grecque et fondateur de la médecine européenne, avait également déjà décrit la colique de plomb de l’ouvrier métallurgiste.

Mais c’est l’année 1701 qui fait référence avec la publication du traité sur la « maladie des artisans » par le professeur de médecine italien Bernardino Ramazzini, que certains considèrent comme l’ouvrage fondateur de la médecine du travail.

Puis vinrent l’ère industrielle et sa révolution : si les risques de dégradations environnementales, de pollution et de nuisance sur les riverains sont rapidement pris au sérieux, les risques professionnels – un concept alors anachronique – sont, dans un premier temps, complètement niés par les pouvoirs publics et les employeurs. Il n’y a ni dans le Code civil, ni dans les textes de la première moitié du XIXème siècle, d’obligation patronale d’assurer à l’ouvrier l’exécution de son travail dans certaines conditions légales de durée, d’hygiène et de sécurité. Les scientifiques, en revanche, se passionnent pour le sujet : de 1829 à 1880, une centaine d’articles sur les maladies professionnelles sont publiés dans le Bulletin de médecine légale et d’hygiène publique.

La résistance des industriels et l’indifférence de l’Etat ont été tenaces durant de nombreuses années : il faudra donc attendre le 2ème tiers du XIXème siècle, avec la Commune de Paris, la légalisation des syndicats en 1884 et les mouvements ouvriers [1], pour que le savoir médical et la reconnaissance légale s’accordent. Si les premières lois sont d’abord exclusivement orientées vers le travail des femmes et des enfants (dans les mines notamment), des changements majeurs ont lieu à cette période : création de l’inspection du travail en 1874, création d’un régime spécial d’indemnisation des victimes d’accidents du travail en 1898, création du Ministère du travail en 1906, du Code du Travail en 1912.

Après la première guerre mondiale, l’Etat et les employeurs réalisent qu’ils doivent prendre soin des travailleurs, moins nombreux : la médecine du travail se transforme pour devenir plus préventive (visite d’embauche, visite d’aptitude, etc.) et l’Etat légifère enfin sur les maladies professionnelles. Deux d’entre elles sont reconnues [2] et font l’objet d’une indemnisation des travailleurs.

En 1937, le Front Populaire crée le premier centre de dépistage des maladies professionnelles.

La médecine du travail deviendra obligatoire en 1942 dans les entreprises de plus de 50 salariés, celle-ci étant utilisée comme un outil de sélection et de contrôle des travailleurs par le régime de Vichy.

Les effets dévastateurs de la seconde guerre mondiale sur le plan économique et social amènent l’Etat à prendre des décisions majeures au moment de la Libération : création de la Sécurité sociale et de sa branche AT/MP en charge de l’indemnisation des salariés, création des Comités d’Entreprise et des Commissions d’Hygiène et de Sécurité (CHS).

Ce sont ensuite les années 80 qui marquent un véritable tournant à plusieurs égards. Sous l’impulsion de pays européens bien plus avancés que la France sur le sujet, l’OIT[3] signe en 1981 la Convention 155 qui, pour la première fois, institue la notion de santé au travail : « le terme « santé », en relation avec le travail, ne vise pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité ; il inclut aussi les éléments physiques et mentaux affectant la santé directement liés à la sécurité et à l’hygiène du travail.[4] ». C’est dans ce contexte de changement de paradigme que le gouvernement de l’époque vote en 1982 les lois Auroux qui créent, entre autres, le droit de retrait en cas de danger grave et imminent et les CHSCT (Commissions d’Hygiène, de Sécurité et de Conditions de Travail). L’ajout des « Conditions de travail » au nom de l’instance est un symbole fort renvoyé par le législateur à l’époque : la santé au travail ne peut se résumer à des questions d’hygiène et de sécurité, elle doit faire l’objet d’une approche pluridisciplinaire à la croisée de la médecine du travail, de l’ergonomie, de la psychodynamique du travail, de la sociologie des organisations.

Autrement dit, la santé au travail est enfin reconnue comme un sujet central et complexe de la vie des entreprises, ce qui se confirmera dans les années 2000 avec les nombreux suicides de cadres chez France Télécom et qui mettront à jour l’existence des risques psychosociaux. Pour autant, à la complexité du sujet, l’Etat répond dans les années 2000 par des lois qui prônent la « simplification », laquelle serait rendue possible par la négociation dans les entreprises. Celle-ci trouve son apogée avec les ordonnances Pénicaud de 2017 qui suppriment les CHSCT pour fusionner les instances représentatives du personnel, créent les accords de performance collective (APC) et les ruptures conventionnelles collectives (RCC), plafonnent les indemnités pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Enfin, la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail réforme en profondeur le code du travail mais aussi le code de la santé publique à travers, notamment, une réorganisation du système de gouvernance de la prévention de la santé au travail. À défaut de médecin du travail, les services de prévention et santé au travail interentreprises pourront désormais s’adjoindre le concours d’un médecin praticien « disposant d’une formation en médecine du travail [5] ». Les médecins du travail pourront également déléguer une part de leurs missions à des infirmiers du travail, des masseurs-kinésithérapeutes ou encore à des ergothérapeutes. Mais ces nouvelles dispositions ne sont qu’une partie de cette loi qui prévoit bien d’autres changements, sur lesquels DEGEST dédiera bientôt un article.

Pour aller plus loin, nos sources :

  • Vincent Julien, « Pour une histoire par en bas de la santé au travail. Entretien avec l’historien Jean-Claude Devinck », Mouvements, 2009/2 (n° 58), p. 68-78. DOI : 10.3917/mouv.058.0068. URL : https://www.cairn.info/revue-mouvements-2009-2-page-68.htm
  • La médecine du travail au fil de l’Histoire, depuis les pharaons (franceculture.fr), 03/09/2020
  • « Santé et travail, les origines, les acteurs et les indicateurs », actualité et dossier en santé publique n°9 décembre 1994, page IV.

[1] Citons l’exemple emblématique des ouvriers des manufactures d’allumettes. A partir de 1892, ceux-ci constituent un syndicat pour demander la suppression du phosphore. Quatre ans plus tard, et après deux grèves, ils obtiennent le paiement intégral de leurs arrêts maladie par le Ministère des Finances. A partir de là, le nombre d’ouvriers déclarant leur maladie explose, et les coûts pour l’Etat également. Ramenés à la réalité des impacts du phosphore sur les finances publiques, les pouvoirs publics commencent enfin à prendre le sujet de la santé au travail au sérieux.

[2] Le saturnisme lié à l’exposition au plomb et l’hydrargyrisme lié à l’exposition au mercure.

[3] Organisation Internationale du Travail

[4] Article 3 de la Convention 155 : Convention C155 – Convention (n° 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981 (ilo.org)

[5] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043884445 , Loi n°2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail

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