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Charge de travail : quelles évaluation et implications ?

La question de l’évaluation de la charge de travail ou plutôt son défaut d’évaluation est un sujet récurrent de nos rapports d’expertise sur les Projets Importants. Pourquoi est-ce si important ? De quoi parlons-nous ? Comment peut-on faire pour évaluer la charge de travail d’une organisation future ? Ce sont des questions qui nous apparaissent importantes car c’est un levier d’action des représentants du personnel au CSE dans les réorganisations qui nous semble insuffisamment activé.

Tout d’abord, de quoi parlons-nous quand nous évoquons la charge de travail ?

La charge de travail dépend du point de vue de celui qui en parle.

Côté directions, la charge de travail est vue comme ce qui est à faire dans un temps donné pour atteindre les objectifs fixés avec les moyens organisationnels, humains et techniques. La vision côté direction correspond donc à la charge de travail telle qu’elle est prescrite.

Du point de vue des opérateurs, la charge de travail correspond à l’engagement de la personne pour atteindre les objectifs fixés par la direction, induits par l’usager dans une relation de service, ou auto-prescrit par l’opérateur lui-même pour répondre à sa vision d’un travail bien fait par exemple. Cette charge de travail réelle dépend d’un grand nombre de paramètres collectifs ou individuels qui font partie des déterminants du travail : expérience et compétences de l’opérateur, qualité du collectif de travail, état physique et psychologique, outils de travail, variabilité des matériaux de travail, des usagers…

La charge de travail réelle est donc une dimension subjective qui a plusieurs composantes, physique et mentale. Si la dimension physique est relativement aisée à appréhender, puisque c’est la partie la plus visible, la plus observable du travail, ce sont les gestes répétitifs, les ports de charges, les postures contraignantes que nécessite une tâche donnée, même si elle est malgré tout sujette à une certaine variabilité du fait de l’expérience, des arbitrages individuels qui sont réalisés dans le travail ; les dimensions cognitives et psychiques sont, elles, beaucoup plus difficiles à définir.  Tout travail y compris ceux qui apparaissent les plus manuels comprend une dimension cognitive : efforts de concentration, de compréhension, d’adaptation, de minutie… et une dimension psychique : exigences émotionnelles, confrontation au conflit, à la mort, au danger, incertitudes sur l’avenir…

La charge de travail est vécue de manière très variable par les opérateurs en fonction des ressources dont ils disposent pour y faire face : outils adaptés, formation et compétences, appui d’un collectif de travail, capacité à échanger sur les difficultés rencontrées et à faire des arbitrages collectifs plutôt qu’individuels, soutien managérial…
La nature des objectifs à atteindre, leur nombre et leur correspondance avec les « règles de métier », avec ce que l’opérateur considère comme nécessaire à la réalisation d’un travail bien fait va venir renforcer ou non un sentiment de surcharge.

La subjectivité de la charge de travail réside également dans l’intérêt et le plaisir pris à la réalisation d’une tâche particulièrement délicate ou complexe, du sentiment d’avoir ou non la possibilité d’effectuer un travail de qualité, la reconnaissance du travail par les pairs et par la hiérarchie…

La charge de travail est donc une notion complexe dont l’évaluation nécessite la prise en compte de nombreuses dimensions et éléments variables. Elle comprend des facteurs qui vont influer la santé et le bien-être au travail. Nous commençons donc à voir pourquoi il ne peut y avoir une mesure de la charge de travail, une norme appliquée à une tâche pour définir la charge de travail qu’elle représente comme le font certaines entreprises.

Lorsque l’organisation du travail prévue par un projet de réorganisation ne s’appuie pas sur une évaluation de la charge de travail future des opérateurs, ceux -ci risquent d’être en surcharge avec des effets en termes de risques psychosociaux et de risques physiques. En effet, la surcharge génère une contrainte de temps qui conduit à rechercher à aller plus vite. Cette recherche de rapidité d’exécution peut conduire à l’incapacité à mettre en œuvre des procédures de sécurité, à enfreindre des règles…

Par exemple, quand la direction d’une entreprise de logistique sous-évalue la charge de la distribution dans ses réorganisations, elle accroit notamment le risque routier car les salariés risquent d’enfreindre des règles de sécurité pour réussir à finir leur tournée, et le risque de Troubles musculosquelettiques du fait de gestes répétitifs et de port de charges réalisés avec une contrainte temporelle qui se renforce.

Une obligation d’évaluation actée par la jurisprudence

La loi a intégré la notion d’évaluation de la charge de travail dans le cadre de l’introduction du forfait jour qui permet à l’employeur de s’affranchir de la notion de durée du travail. Il est cependant fait obligation à l’employeur de s’assurer que la charge de travail du salarié au forfait jour est bien adaptée. La loi du 8 août 2016 prévoit notamment que l’employeur doit « régulièrement s’assurer que la charge de travail du salarié au forfait-jour est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ».

La jurisprudence est venue compléter la législation en ce qui concerne la prise en compte de la charge de travail et son évaluation. C’est au titre de l’obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des salariés qu’il ressort des obligations en la matière pour les employeurs.
Ainsi, au-delà des limitations horaires prévues par la loi : durée maximale journalière de 10 h sauf dérogation, durée maximale hebdomadaire de 48h sur une semaine et en moyenne de 44 h sur 12 semaines consécutives, amplitude maximale journalière de 13 h, les jurisprudences successives viennent préciser ces obligations :

  • La surcharge de travail conduisant à l’altération de la santé d‘un salarié constitue un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ;
  • L’employeur a l’obligation d’analyser et de présenter les transferts de charge de travail susceptibles d’être induits par une réorganisation impliquant des suppressions de postes ;
  • La validité des conventions de forfait-jour suppose l’existence de dispositions de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps.

Quels dispositifs pour évaluer et réguler la charge de travail ?

Dès lors la question de l’évaluation et de la régulation de la charge de travail se pose. Que ce soit dans le cadre d’actions pour améliorer les conditions de travail et prévenir les risques professionnels ou dans celui d’un projet de réorganisation afin d’en évaluer les effets sur la répartition de la charge, si la responsabilité incombe à l’employeur, les représentants du personnel au CSE et à la CSSCT gagneraient à se saisir de ce sujet.
Mais comment évaluer cette charge de travail subjective ? Cette évaluation nécessite une mise en discussion du travail et de ses déterminants. Elle nécessite souvent l’intervention d’un spécialiste du travail (ergonome, sociologue, psychologue du travail) afin de structurer la discussion sur le travail et initier des espaces d’échange entre les salariés, ou a minima afin de former les animateurs et les acteurs de ces projets.
Différentes ressources existent :

  • L’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) met à disposition des acteurs un kit « Agir sur la charge de travail» et un ensemble d’outil d’accompagnement dans cette démarche ;
  • L’INRS a également développé des outils d’évaluation de la charge de travail ;
  • Les services de santé au travail disposent généralement au sein de leurs équipes de ressources compétentes sur ces sujets.

 

DEGEST, cabinet d’expertise habilité SSCT, peut accompagner les représentants du personnel au CSE dans cet exercice d’évaluation de la charge de travail : formations SSCT (formation obligatoire pour les membres du CSE), expertises SSCT (en cas de risque grave ou projet important) et conseils.

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